2 décembre 2019. Je suis installé aux côtés de Michel Grialou, à la Halle aux Grains, pour apprécier "Ariodante" dans une version de concert interprétée par les Musiciens du Louvre, sous la direction de Marc Minkowski, accueillie par les Grands Interprètes. Créé à Londres en 1735, cet ouvrage de Haendel est entré au répertoire de l’Opéra de Paris en 2001, avec cet orchestre et leur chef qui en avaient publié trois ans plus tôt un enregistrement de référence – avec Anne Sofie von Otter. Je suis curieux de découvrir sa lecture actuelle de la partition, avec la même phalange et la Française Marianne Crebassa (photo) dans le rôle-titre, alors qu’il est aujourd’hui devenu directeur de l’Opéra national de Bordeaux. L’histoire de ce «dramma per musica» (opera seria version XVIIIe siècle) est à la fois inspirée de la comédie "Beaucoup de bruit pour rien", de William Shakespeare, et de l’"Orlando furioso", roman de chevalerie signé l’Arioste en 1516 et maintes fois transposé à l’opéra durant la période baroque – Georg Friedrich Haendel adapte ici un livret d’Antonio Salvi, déjà mis en musique en 1708 par Giacomo Antonio Perti. L’action a pour cadre l’Écosse médiévale, lorsque le roi s’apprête à marier sa fille Ginevra au jeune chevalier Ariodante. Convoitant la princesse, Polinesso la fait passer pour infidèle avec la complicité de Dalinda. Ginevra est alors reniée par son père… Dès l’ouverture, comme ce sera le cas pour les parties dansées qui achèvent chacun des trois actes, je suis emporté par la direction de Marc Minkowskiqui cultive le style typiquement italien de la partition avec une certaine jubilation et l’expressivité adéquate – totalement intégrées au drame, ces danses sont empruntées à la tragédie lyrique française, elles figurent des divertissements de cour aux premier et troisième actes, et mettent en scène la confrontation de «songes agréables» et de «songes funestes» pour exprimer l’état d’esprit de Ginevra au deuxième acte. Trois heures durant, les airs succèdent aux ensembles les plus somptueux, sans le moindre instant de répit, grâce à une écriture particulièrement concentrée et limpide qui avance au détriment des récitatifs. Je me régale d’entendre une distribution très homogène et ne souffrant d’aucune faiblesse, pour porter les protagonistes aux personnalités d’une grande variété, aux contours riches et profonds : la basse James Platt sous les traits du Roi d’Écosse, les sopranos Ana Maria Labin et Caroline Jestaedt pour interpréter Ginevra et Dalinda, le contre-ténor Yuriy Mynenko dans le rôle de Polinesso, le ténor Valerio Contaldo dans le rôle de Lurcanio, etc. J’admire l’agilité vocale de la mezzo-soprano Marianne Crebassa qui exécute avec une élégante souplesse les airs les plus virtuoses comme les plus graves. Malgré l’absence de mise en scène, je vois des personnages exister devant moi, grâce aux déplacements en apparence spontanés des interprètes et à la reconstitution de l’espace scénique d’une salle opéra : les chanteurs sont en effet libres de leurs mouvements sur un plateau surélevé derrière les musiciens. Je me réjouis alors d’avoir échappé à une ces traditionnelles versions de concert d’opéras, soirées se révélant en général dramatiquement laborieuses car imposant aux chanteurs de rester immobiles, coincés à l’avant-scène entre l’orchestre et le public…
Marianne Crebassa © Simon Fowler